Invité d’Honneur

Philippe Sarde

Un chiffre qui force le respect : deux-cent-cinquante musiques de films, pour le cinéma français, italien, britannique ou américain. Ce palmarès n’est pas celui d’un compositeur nonagénaire, mais de Philippe Sarde, jeune septuagénaire. Sa chance ? Avoir débuté à vingt ans sur Les Choses de la vie, avec Claude Sautet comme mentor. Sa Chanson d’Hélène, interprétée en duo par Romy Schneider et Michel Piccoli, est aujourd’hui un classique. À partir de là, Philippe Sarde enchaîne les rencontres jusqu’à l’ivresse, se démultipliant auprès de cinéastes aussi différents que Roman Polanski et Jacques Doillon, Alain Corneau et Bertrand Tavernier. À leurs côtés, il développe une écriture hors norme, basée sur des mélanges extravagants, enrichie de solistes hors pair (Stan Getz, Toots Thielemans, Ivry Gitlis, Stéphane Grappelli). « Au début de notre collaboration, résumait Georges Lautner, j'ai trouvé Philippe Sarde bizarre. Puis, j’ai vite compris qu’il était complètement piqué. Face à des images, il s’exalte, il décolle vers une folie baroque qui va servir votre film. Il ose là où les autres n’oseraient pas. Avec lui, la composition, c’est d’abord de l’imagination. » Tel est Philippe Sarde : compositeur de tous les excès, ennemi radical de l'eau tiède, capable d'élaborer une partition pour un seul instrumentiste (la flûte géante de Rêve de singe) ou pour deux-cent (La Guerre du feu).

Sa force, c’est d’être d’abord un homme de cinéma avant d’être un homme de musique, d'envisager son statut comme celui d'un scénariste musical. « Dans la musique pour l’image, on ne s’exprime pas, on exprime le metteur en scène, martèle-t-il. Le plus excitant, c’est d’entrer dans sa tête pour lui écrire sa musique. C’est un travail de compréhension, d’analyse, d’apprivoisement. On ne peut pas parler à Costa-Gavras comme on parle à Jean-Jacques Annaud ou André Téchiné. » Cette capacité à accoucher ses cinéastes lui permet d'appartenir à toutes les familles du cinéma, de Robert Bresson à Philippe de Broca, d'aimanter des metteurs italiens (huit films avec Marco Ferreri) et même d'investir Hollywood, dans la foulée de sa nomination à l'Oscar pour la fracassante partition de Tess. Depuis plusieurs années, l'aura intemporelle de certains opus sardiens lui amène des sollicitations de cinéastes du nouveau monde (Bruno Podalydès, Alexandra Leclère, Louis Garrel). À leur générique, la signature du compositeur fonctionne comme un trait d'union avec certains grands metteurs en scène qui ont façonné leur vocation, de Sautet à Polanski. Aujourd'hui, Philippe Sarde rêve d'emmener ses partitions cinématographiques ailleurs, vers le ballet ou le concert. Une ambition qui prend forme au Festival du Cinéma et Musique de Film de La Baule, avec un concert-hommage qui sera une création à deux-cent-pour-cent. Une façon de prendre conscience de l'impact de ses musiques pour l'image… sans les images, de mesurer la trace sentimentale qu’elles ont laissé dans nos mémoires. « C’est étrange, conclut-il dans un sourire, j'ai le sentiment intime que tout est encore à faire, à inventer. Rencontrer un cinéaste que je ne connais pas encore me motive comme au premier jour. Car finalement, c’est une forme d’introspection sur lui et, par ricochet, sur moi-même. À vrai dire, hier m'intéresse moins que demain. »

Stéphane Lerouge