« Mon ambition pour chaque film, c’est de lui trouver une couleur orchestrale propre, en fonction du sujet, de son traitement, des comédiens, de la lumière, tout en restant fidèle à mes obsessions mélodiques et harmoniques. »
Ces mots sont ceux d’Alexandre Desplat, objectivement l’un des compositeurs pour l’image les plus inventifs du nouveau monde, auteur d’une œuvre à la fois raffinée et luxuriante, dont les contours restent encore à cerner. Une œuvre où se télescopent tous les possibles, tous les contraires, d’Harry Potter à Robert Guédiguian, d’Elizabeth II à Godzilla. La différence fondamentale d’Alexandre Desplat saute aux yeux et aux oreilles dès ses premières bandes originales majeures, à la mi-temps des années quatre-vingt-dix : non seulement, il incarne l’émergence d’une nouvelle génération mais, surtout, il brevette un statut inédit : musicien-cinéphile. Contrairement à ses grands aînés, Nino Rota ou Bernard Herrmann, le compositeur de Regarde les hommes tomber n’a pas croisé le cinéma au détour du chemin, il a toujours voulu le conquérir, le séduire, l’épouser. Trente ans plus tard, c’est un fantasme de jeunesse qui s’est concrétisé, à une échelle planétaire. Le rêve, son rêve, une adolescent dont Chinatown fertilisait l’imaginaire deviendrait un jour le double musical de Roman Polanski ?
Son univers, c’est un goût pour la musique répétitive, à laquelle il injecte un lyrisme singulier, le sien propre, purgé de romantisme. Chaque nouvelle expérience semble surgir pour varier les plaisirs, comme la récréation de la précédente et de la sui- vante. Comment s’ennuyer entre le combo en lévitation qui enveloppe De rouille et d’os et l’armada symphonique de Monuments men, réinvention d’un genre purement hollywoodien, le film de commando ? Ces vis-à-vis hirsutes révèlent la famille de cinéma constituée par Alexandre Desplat au fil des années : d’un côté, les « his- toriques », Jacques Audiard ou Florent-Emilio Siri ; de l’autre, les nouveaux venus du xxIe siècle, George Clooney, Roman Polanski, Wes Anderson, Guillermo del Toro et Stephen Frears, lequel mentionne sa fascination pour les partitions des films d’Audiard. Comme une longue chaîne : Audiard qui amène à Frears ; The Queen qui, avec La Jeune fille à la perle, amènent Desplat à Los Angeles. « C’est exact, avoue-t-il ce sont des cinéastes britanniques qui m’ont servi d’ambassadeurs auprès d’Hollywood. Comme pour Maurice Jarre, autrefois. »
Enfin, il faut mentionner le compagnonnage, l’émulation esthétique entre le compositeur et son interprète fétiche, Dominique Lemonnier dite Solrey, créatrice et directrice artistique du Traffic Quintet, dont Un héros très discret a été l’acte de naissance. Dans le documentaire qu’elle a consacré en 2014 au compositeur, Pascale Cuenot nous offre une séquence intime d’une belle sincérité : seul dans sa pièce de travail, la nuit, à l’abri du tumulte extérieur, Alexandre Desplat confesse sa part de doute et d’incertitude, raconte ses sacrifices, la pression des délais, la gestion du temps, le poids des responsabilités que fait peser sur ses épaules chaque projet de studio. C’est le maelström de sa vie, celle qu’il a voulu, celle dont il a rêvé. Et qui a fait de lui un créateur reconnu internationalement, compatible avec tous les cinémas. Et dont l’écriture permet d’ouvrir d’autres perspectives, d’emporter le récit vers d’autres territoires, imaginaires, plus vastes que l’image.
Stéphane Lerouge